Halal. En arabe, ce mot signifie licite et désigne ce qui est autorisé par la loi islamique. Par exemple, le halal exclut le porc, l’alcool et leurs dérivés, les jeux d’argent et de hasard, les intérêts et la spéculation dans la finance. La pratique religieuse est devenue une opportunité commerciale et marketing pour les entreprises, qui déclinent le halal à toutes les sauces.
Bienvenue à l’Alambra. Situé en Seine-Saint Denis, ce restaurant propose une carte entièrement halal. On peut y commander de la cuisine française, comme de la blanquette de veau ou de la tartiflette, mais également des burgers où des pâtes. Les clients affluent de toute la région parisienne et parfois de plus loin encore. Le restaurant fait salle comble au rez-de-chaussée, mais également au sous-sol ou la cave à vin du restaurant installé là précédemment, devenue obsolète, a été transformée en salle de prière. Le succès est tel qu’un deuxième Alambra vient d’ouvrir à Vitry-sur-Seine, au sud-est de Paris. Une réussite symptomatique de la demande croissante de produits halal d’une part non négligeable de la population française. Demande que les entreprises s’empressent désormais de satisfaire.
Le halal, un marché de 5,5 milliards d’euros, le double du marché du bio
S’il est interdit de faire des statistiques « ethniques » et religieuses officielles, on évalue entre 3 et 6 millions le nombre de musulmans en France. Sans être capable de déterminer la part de ceux qui respectent les préceptes du Coran, il est évident que cette frange de la population française représente une bonne oportunité pour les entreprises. D’après une étude de marché réalisée par le cabinet d’étude marketing ethnique Solis, le halal représenterait une manne de 5,5 milliards d’euros, soit, en guise de comparaison, le double du marché du bio.
Le halal devient donc un argument de vente, comme nous l’explique Michel Turin, journaliste et auteur d’un livre sur la question, Halal à tous les étals. « Le halal est devenu un atout marketing, qui comprend bien plus que la viande ! Un concept qui était à la base uniquement religieux a été récupéré à des fins économiques. Aujourd’hui, on encourage les consommateurs musulmans à toujours acheter plus de halal ». Dans son livre, Michel Turin donne une liste de produits qui ont fait leur apparition.
Du champagne, le Cham’alal devenu le Night Orient, ou de la bière, la Sultane Kriek, qui permettent aux consommateurs musulmans de participer à des festivités sans contrevenir à leurs principes religieux. Mais le halal touche aussi les cosmétiques (le dentifrice), les yoghourts, les produits d’entretien et les confiseries, garanties sans gélatine.
25% de produits halal en plus en 2011
Des produits qui ont fait leur entrée dans les supermarchés. A Paris, le magasin Hal’shop, ouvert en 2010, est la première supérette entièrement dédiée aux produits halal. Mais les grandes enseignes habituelles ont également suivi le mouvement. Le groupe Casino a pris les devants et propose dans ses magasins Leader Price et Franprix des rayons entièrement dédiés au halal. Jean-Charles Naouri, patron du groupe Casino et pionnier dans la commercialisation de halal à grande échelle, parle de “commerce de précision”.
Les produits halal ciblent une population musulmane trentenaire et active. Ces Français issus de l’immigration de deuxième et troisième génération seraient bien intégrés en France tout en ayant la volonté de concilier leur culte avec leur façon de vivre. Le néologisme “beurgeois” a été forgé pour les désigner, un terme que réfute Michel Turin. “C’est un raccourci journalistique qui voudrait regrouper sous le même nom des réalités sociologiques différentes. Il existe certainement un grand éventail de consommateurs français de halal que l’on ne peut pas enfermer dans ce terme”. Des profils de consommateurs différents et encore flous pour une réalité infaillible, celle des chiffres. Entre 2010 et 2012, le marché du halal a crû de 10%, et le nombre de produits référencés halal a augmenté de 25% rien que sur l’année 2011. Une expansion très rapide mais qui soulève plusieurs enjeux, comme celui de la certification halal des produits.
Le halal, un business de la certification?
Pour être certifiée halal, la viande doit provenir d’une bête abattue selon un rituel. Sans étourdissement, la bête est égorgée par un “sacrificateur” qui prononce une prière avant de lui trancher la gorge. La bête est ensuite suspendue par les pattes pour se vider de son sang. Ces sacrificateurs professionnels sont légitimés par un certificat qui leur est délivré. On touche alors à une autre facette du business du halal, celui de la certification.
Dans l’Hexagone, il existe une multitude de labels halal, mais tous ne sont pas dignes de confiance. Le scandale des poulets Doux, certifiés halal à tort par un organisme et retirés des magasins Casino, en atteste. On trouve cependant en France une agence spécialisée dans la certification de produit halal, l’association A votre service. AVS est reconnue comme instance principale par la communauté musulmane dans le domaine de la certification. Mais trois autres organismes sont également habilités à délivrer des certificats halal. Et il s’agit de… mosquées.
En effet, la grande mosquée de Paris, celle de Lyon et celle d’Evry sont reconnues pour certifier les produits halal. Ce qui leur permet d’engranger des recettes importantes. L’ARGML, l’organisme de certification halal rattaché à la mosquée de Lyon percevrait entre 800 000 et 900 000 euros par an, selon le recteur. Comme l’indique le blog spécialisé sur le halal Al-Kanz, le chiffre est important mais peu impressionnant lorsque l’on sait que les mosquées de Paris et d’Evry contrôlent à elles deux 70% du marché de la certification. Une autre facette du business du halal très critiquable pour Michel Turin. “Les mosquées se battent pour des parts de marché, elles se tirent la bourre. Et souvent, elles font mal leur boulot. Elles ont un monopole de la certification alors qu’elles sont juges et parties. C’est bien pour leur image de marque mais au final, c’est négatif pour le consommateur. Alors que l’association AVS, elle, a une image de sérieux, de rigueur”.
Une bonne image qui n’a pas empêché l’association de voir son contrat rompu avec une des plus grande marque de halal, Isla Délice. Avec ses 44% de parts de marché, l’entreprise affichait un chiffre d’affaire de 60 millions d’euros en 2011. “Un coup de tonnerre” selon Michel Turin, qui prive l’association d’un partenariat avec une entreprise qui a su pleinement profiter de l’essor du business du halal.