Elle fait beaucoup parler d’elle. Récemment, c’est dans les cantines scolaires qu’elle s’est illustrée. La viande halal est sujet de crispations dans le débat public. Contrainte au quotidien pour les uns, interdit purement symbolique pour les autres, une partie de la communauté musulmane a fait le choix de ne pas consommer de la viande halal. Et l’assume. Points de vue.
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Le halal dans les textes
“Les animaux morts, le sang, la chair du porc, tout ce qui a été tué sous l’invocation d’un autre nom que celui de Dieu, les animaux suffoqués, assommés, tués par quelque chute ou d’un coup de corne ; ceux qui ont été entamés par une bête féroce, à moins que vous ne les ayez purifiés par une saignée ; ce qui a été immolé aux autels des idoles ; tout cela vous est défendu. Ne vous les partagez pas en consultant les flèches, car ceci est une impiété. Le désespoir attend ceux qui ont renié votre religion ; ne les craignez point, craignez-moi. »
C’est ainsi que la cinquième sourate du Coran, “La table servie”, détaille dans son troisième verset la pratique alimentaire que doit adopter chaque musulman : la consommation de viande halal. Pour être licite (halal, en arabe), la viande issue de la bête doit avoir subi un rituel d’abattage particulier. La bête doit être abattue vivante au nom de Dieu, et sa tête tournée vers la Mecque
“L’islam ne se résume pas à la consommation de viande halal”
Pascal a 48 ans. Il est imprimeur à Grigny, dans l’Essonne. Converti à l’islam en 1995, il avoue ne pas manger systématiquement de la viande halal.
“Quand j’ai la possibilité de manger halal je le fais. Mais quand je suis chez des amis par exemple, je ne mange pas halal sans que ça pose un souci particulier.” Sa limite : le porc. “ L’interdit relatif au porc, je ne le transgresse pas, car je le considère pour le coup comme une transgression .”
Plus importantes que son assiette, ce sont les valeurs fondamentales de l’islam qui régissent la vie de ce père de famille. “L’islam ne se résume pas à la consommation de la viande halal, ni à un autre rite particulier. C’est un ensemble de comportements avant tout”, explique-t-il ajoutant que “le plus important c’est d’être honnête, charitable et de bien se comporter.”
Sa fille Lisa, 19 ans, est sur la même longueur d’onde. Elle ne considère pas le halal comme une obligation imposée à chaque musulman mais plutôt comme un mode de vie, qu’elle n’adopte pas rigoureusement.
“Quand je fais mes propres courses, j’achète la viande halal. Mais quand je mange chez mes parents ou mes amis, je ne fais pas tout un cinéma parce que ce n’est pas halal”, raconte-t-elle. Pour elle, ce sont les conditions sanitaires qui justifiaient cet interdit à l’époque où l’islam l’a édicté. “Ce n’est plus le cas aujourd’hui”, se justifie-t-elle.
Cette étudiante en médecine préfère baser la pratique de la religion sur les 5 piliers de l’islam (ie: l’attestation de foi, l’aumône, le pèlerinage à la Mecque, le jeûne et la prière). “Tout ce qui est autour, c’est un style de vie. Je ne les considère pas comme des obligations”.
Assumer, certes. Encore faut-il vivre avec les remarques, les regards emprunts de jugement, parfois d’agacement. “Tu t’es convertie et tu bafoues la religion”, a-t-on déjà lancé à Lisa. Mais elle n’en a cure. “ Les personnes qui me disent ça ce sont celles qui ne respectent pas les cinq piliers comme la prière mais qui accordent plus d’importance à manger halal. Ils accordent de l’importance à ce qui en a le moins. Je leur dis que je préfère prier et ne pas manger halal”, conclut la jeune fille.
« Un sentiment de culpabilité »
Quand la consommation de viande non halal fait partie d’un choix mûrement réfléchi, il est avant tout pour d’autres une pratique héritée de ses parents. Bien que musulmane, la famille de Sabrina n’a jamais été très pratiquante.
“Quand la boucherie musulmane est fermée, ma mère n’a pas de problème pour acheter de la viande non halal. D’ailleurs, on ne se soucie pas du caractère halal ou pas de notre assiette”. Elle avoue ressentir un sentiment de culpabilité “ inconscient quand [elle] ne mange pas halal”. Mais “ce n’est pas quelque chose qui me taraude au quotidien”, finit-elle par avouer.
A 24 ans, elle estime que “ça ne vaut pas le coup de changer de mode de vie”. Mais elle n’exclut pas de respecter cette pratique un jour, si sa foi vient à évoluer.
Idem pour Ahmed*, 23 ans, qui remet cette pratique à plus tard. “Je suis parti aux Etats-Unis pour une année d’études, et au fur et à mesure, j’ai complètement arrêté de consommer halal. Les fréquentations ont beaucoup joué” raconte le jeune étudiant en finances dont les parents guinéens “n’ont pas l’habitude de respecter cet interdit”. “Il existe une différence de consommation entre l’Afrique noire et le Maghreb où l’on a plus tendance à se contraindre à la nourriture halal. C’est culturel”, analyse-t-il.
“On m’a déjà dit que si je ne mangeais pas halal, mes prières ne seraient pas validées pendant 40 jours”. Mais Ahmed, qui interprète ce mode de vie comme une obligation, est ferme. “ Quand je l’aurais décidé de moi-même, je me mettrai à manger halal. Je me moque de ce que les autres peuvent bien penser. Je crois en Dieu, et j’ai ma propre vision de la foi.”
* le nom a été changé