Entre cohésion et fragmentation des communautés religieuses. Entre respect et transgression. Si les interdits sont différents d’une religion à l’autre, les thèmes auxquels ils se rattachent sont sensiblement les mêmes. Enseignant-chercheur spécialiste du fait religieux, anciennement journaliste, Eric Vinson, nous livre son décryptage des raisons d’être des non des Dieux, et de l’évolution de leur interprétation.
Les interdits, mailles des communautés religieuses
« Lorsque les juifs ont perdu leur territoire, il y a plus de deux mille ans, ce sont les obligations et les interdits communs qui ont assurés leur cohésion. » Pour Eric Vinson, les contraintes religieuses soudent les communautés. Mais surtout elles les séparent de celles qui ne se plient pas aux mêmes préceptes. En restant sur l’exemple juif, « on ne mange pas n’importe quoi avec n’importe qui ». Les interdits comme vecteurs des identités religieuses en somme.
Et cela s’applique également aux religions polythéistes, souvent régies par le totémisme. « Dans certaines sociétés tribales, chaque groupe se réfère à un ancêtre fondateur. La plus part du temps un animal. Le fait de ne pas manger de cet animal en particulier marque la différence avec les groupes qui le font ».
Des interdits monothéistes et des tabous polythéistes qui délimitent les cultures. Qui établissent les règles de la vie en société également. Le sujet est plus anthropologique que religieux, nous explique le spécialiste. La question des prohibitions religieuses se pose « parce que l’on oublie que pendant des millénaires tout était géré par la religion ». Aujourd’hui la charia islamique entre en conflit « de plein fouet avec les sphères juridique et politique » en Occident.
« Les interdits sont pensés pour le bien de l’être humain. Ce n’est pas une démarche masochiste ». A l’origine des interdits, il y a plus qu’une mission juridique. « Le religieux vient se greffer sur la morale et l’éthique ». « Des normes symboliques qui humanisent des thématiques similaires » d’une religion à l’autre. L’alimentation et la sexualité étant les plus importantes, selon Eric Vinson. Car si les interdits sont différents dans la forme, « le fond reste le même ». Il existe par ailleurs des invariants universels, à l’image du « tu ne tueras point ». Ce sont les diktats plus spécifiques qui posent questions. Et elles sont de plus en plus nombreuses chaque jour.
Deux juifs, trois interprétations
La discussion des normes sacrées est apparue avec la modernité. « Elle s’est intensifiée à partir du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui. » La réflexion sur les interdits comme carcan religieux est plus ancienne, souligne le professeur. On la retrouve dans le christianisme. Et ce depuis ses prémices. Jésus serait une sorte de rebelle pré-moderne. « Il y a dans la religion chrétienne, un rapport à l’interdit différent, une grande liberté laissée à l’interprétation. Les autorités chrétiennes ne peuvent que proposer et pas imposer. Le carême, par exemple, n’est pas vraiment appliqué dans les faits ».
Pour les deux autres grandes religions monothéistes, la réflexion sur l’interprétation des préceptes religieux a été amenée progressivement par la différenciation entre public et privé dans les société modernes. « Avant chaque individu était sous le contrôle de la communauté. On suivait les règles ou on était un mauvais religieux ». L’individualisme a bouleversé ce régime.
« Dans le judaïsme les interdits sont très forts, mais il y a une culture du débat. On dit souvent: deux juifs, trois avis ». Une loi et des multitudes d’interprétations. « Durant le chabbat, la règle est de ne pas produire, ni allumer de feu ». Faut-il comprendre un jour par semaine sans électricité? C’est la question qui se pose aujourd’hui dans la communauté juive. « Une complexité de la modernité » parmi tant d’autres, auxquelles sont confrontés rabbins, prêtres et autres imams.
« Avec la modernité, un nouveau croyant est apparu, avec un plus grand pouvoir d’interprétation ». Les juifs libéraux en sont un exemple. Les interdits continuent de rassembler, maintenant ils fragmentent également les communautés. « On voit aujourd’hui que les intégristes musulmans veulent pratiquer un islam mythique. Ils sont à la recherche du tout comme avant. » Un islam utopiste. « Même leurs grand-mères ne pratiquaient pas cet islam là ». Avant on appliquait collectivement, maintenant on interprète individuellement.