Se marier sans sacrifier ses différences religieuses

Julie et Karim* se rencontrent en 2005 chez des amis, se fréquentent, vivent leur relation à distance pendant deux ans, puis emménagent finalement ensemble en 2008. Elle tombe enceinte, ils décident alors de se marier. En apparence, une histoire d’amour banale. Mais la religion s’en mêle. Tous deux sont croyants et pratiquants, mais elle est catholique et lui, musulman.

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Julie et Karim initient leurs enfants de manière ludique à l’islam et au christianisme
(Crédit: Maïna Fauliot)

Ils se sont dit oui deux fois. De religions différentes, Julie et Karim ont fait une double cérémonie de mariage. Ils ont tout d’abord effectué la fatiha (union religieuse musulmane) sans même l’annoncer aux parents de la jeune femme. « Je n’ai pas eu le courage de leur dire », souffle-t-elle. Quand la mère de Julie a finalement appris la nouvelle, elle a téléphoné à Karim et lui a fait part de son étonnement : « je croyais pourtant que tu étais intégré ».

Un an après, ils se sont mariés dans une église catholique avec une dérogation pour disparité de culte. Les parents des deux époux ont cette fois-ci été prévenus avant la cérémonie, mais ceux de Karim ne sont pas venus, seule sa sœur était présente. Les tensions familiales qui existaient depuis le début de la relation « se sont cristallisées au moment des cérémonies religieuses », explique Julie.

 « Je ne lance la pierre à personne », tient à préciser Karim, cadre en communication, « il faut aussi se placer de leur point de vue, comprendre leurs réticences ». Des réticences familiales que le couple explique par des « facteurs d’abord sociologiques et culturels, avant d’être théologiques ». Des deux côtés il y a des « peurs » et la difficulté pour les parents « d’assumer les choix de leurs enfants au sein de leur propre communauté », explique avec recul le couple.

Religion, culture, histoire : clivage familial  

Un père espagnol, une mère du sud-ouest de la France, Julie est issue d’une famille « très catholique ». Selon la jeune brune, ses parents avaient « peur de l’islam, et surtout de l’image que l’on a des musulmans en France ». « C’est le syndrome Jamais sans ma fille qui fait suite au livre-témoignage de Betty Mahmoody (lien) », ajoute-t-elle.

 Le père et la mère de Karim sont tous deux nés en Algérie. Le jeune homme estime que, pour eux, c’était plutôt « la peur de la dilution des valeurs culturelles et religieuses » qui était prégnante, dans un contexte différent de leur environnement d’origine. « L’histoire de la guerre d’Algérie n’a pas facilité les choses », ajoute sa compagne. Karim est un descendant de résistants du FLN. « Pour sa famille, se marier avec moi c’est raviver d’anciennes blessures », regrette Julie.

 La peur de l’autre était donc présente de chaque côté. Le jeune couple a lui aussi fait face à des craintes vis-à-vis de ses différences religieuses et culturelles, mais il a su les surmonter. Julie avoue qu’au début de son histoire avec Karim ses connaissances sur l’islam étaient très limitées. Tandis que son compagnon qui est né et a grandi en France avait eu l’occasion d’acquérir dans sa jeunesse une « connaissance culturelle de la chrétienté », socle nécessaire à une compréhension mutuelle.

 En étant confrontée à « l’altérité religieuse », la jeune femme a voulu comprendre la foi de l’homme dont elle était amoureuse. A travers des discussions, des lectures et une formation sur l’islam, elle a donc approfondi ses connaissances. Une démarche qui lui a également permis de se replonger dans la théologie chrétienne. Pour accepter la foi de son compagnon, il fallait qu’elle renforce la sienne. Comme elle sortait d’une période de doute et d’agnosticisme débutée au cours de son adolescence, elle avait besoin d’un élément déclencheur pour « retourner vers la chrétienté ». Finalement, la juriste de 35 ans a renoué avec la religion de sa famille grâce à sa rencontre avec Karim.

L’apaisement vient avec les enfants

 Les parents de ce couple mixte, qui vit aujourd’hui dans un appartement de la proche banlieue parisienne, n’ont pas réussi à surmonter leurs divergences aussi rapidement que leurs enfants. « Il faut laisser du temps à nos familles, pour qu’elles suivent leur propre chemin d’acceptation », avance Julie, « ce n’était déjà pas évident pour nous ». Karim se réjouit : « aujourd’hui ça va beaucoup mieux », « c’est un work in progress », précise-t-il en souriant. « Les enfants aident également à atténuer les douleurs et les craintes dans chacune des familles », ajoute le trentenaire.

 Julie et Karim ont deux fils. Le plus grand a 3 ans et demi, le second un an. Leur éducation, ils y ont pensé bien avant la première naissance. « Quand tu es un couple mixte, tu te poses toutes les questions relatives au mariage et aux enfants avant de t’engager », explique la jeune femme en lançant un regard complice à son mari.

 La religion de leurs enfants a été au centre de leurs interrogations. Ils ont choisi de « leur apporter une double éducation religieuse, dans une perspective d’ouverture et de choix », selon les mots de Julie. Cela passe par l’achat de livres didactiques sur les deux religions, par une initiation à la pratique des deux cultes (ils vont parfois à la messe avec leur mère ou voient leur père jeûner pendant le ramadan), mais surtout par l’accomplissement du rite de passage propre à chaque communauté. Fait rare, les deux garçons sont à la fois baptisés et circoncis.

 Deux symboles forts qui sont censés leur laisser plus tard la « liberté de choisir l’une des deux religions », explique Karim, avant d’ajouter en riant : « cela dit, ils deviendront peut-être bouddhistes ». Le ton est aujourd’hui léger, mais le processus de prise de recul a été long.

 Julie pense que le « cheminement vers l’islam » qu’elle a effectué au cours de ces dernières années lui a permis d’accepter que ses enfants soient un jour musulmans, « alors que cela me faisait très peur au début de notre relation », ajoute-t-elle.

 « Finalement, dans chaque famille il y a des difficultés et des challenges à relever », estime Karim,  « en tant que couple mixte nous sommes certes confrontés à des questions spécifiques, mais au quotidien nos problèmes sont très banals : les courses, le travail, les bêtises des enfants ».

NB : *Les prénoms ont été changés