« La notion de laïcité est aujourd’hui dévoyée »

Le 19 mars dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt annulant le licenciement d’une employée de la crèche Baby Loup renvoyée à cause du voile qu’elle portait au travail. Il n’en fallait pas plus pour que le débat sur la laïcité revienne sur le devant de la scène. Grands discours, peur du communautarisme, propositions de loi… Les réactions se sont enchaînées des deux côtés de l’échiquier politique. Le politologue et sociologue des religions, Raphaël Liogier, dresse un état des lieux de la notion de laïcité en France et de son utilisation politicienne.

Raphael Liogier, capture video de presentation de son essai

Le sociologue des religions, Raphaël Liogier, est directeur de l’Observatoire du religieux depuis 2006.
(Capture vidéo, 15 octobre 2012 - 
http://www.youtube.com/watch?v=3ub7ISuRFK0)

Comment définissez-vous la laïcité ?

 La laïcité c’est l’application de l’idée de modernité. Le fait qu’à un moment donné dans l’histoire on a décidé que la tradition ne devait plus être le moteur d’organisation de la société. Des modes d’existence variés cohabitent alors dans un même espace. Le fait de vivre en tant que croyant, ou non-croyant, en Dieu constitue un de ces modes d’existence. La laïcité a donc pour objectif de permettre aux croyants de différentes religions et aux non-croyants de coexister.

La modernité ne bannit pas les Eglises mais condamne le fait qu’il y ait une religion d’Etat qui prévaut sur toutes les autres. Cela signifie que l’appartenance religieuse est un choix personnel qui ne regarde pas l’Etat. La laïcité est donc un instrument étatique qui doit permettre aux différents modes de vie de cohabiter ensemble.

Quel est l’état de la laïcité en France, plus d’un siècle après la loi de 1905

Depuis le rapport mené par François Baroin en 2003 à l’instigation de Jean-Pierre Raffarin, dans lequel la notion de « nouvelle laïcité » est évoquée, j’estime que l’on est face à une laïcité en état de siège. La laïcité est à la base un principe très simple que l’on rend aujourd’hui très compliqué.

En raison du mythe de l’islamisation, on se permet de mettre en place une laïcité d’exception, bien loin d’être une laïcité stricte. Dans un contexte de montée du populisme européen qui s’érige contre un ennemi musulman, on utilise le langage de la laïcité pour la dévoyer. On a aujourd’hui peur du moindre voile et on se saisit de chaque occasion pour agiter la peur de l’extrémisme religieux. S’il y a du terrorisme, il faut le combattre. Mais une mère de famille qui porte un foulard n’est pas dangereuse pour la société.

Que pensez-vous de la décision prise par la Cour de cassation le 19 mars ?

L’arrêt de la Cour de cassation qui annule le licenciement d’une employée voilée de la crèche Baby loup s’inscrit dans la laïcité stricte. C’est-à-dire une neutralité des agents publiques qui n’a pas à s’étendre dans le domaine privé. Je ne comprends pas pourquoi les politiques se sont insurgés contre cette décision. Notamment Manuel Valls (le ministre de l’Intérieur et des Cultes, ndlr) qui l’a accusé de remettre en cause la laïcité. Il est temps qu’il retourne à l’école pour apprendre ce que signifie vraiment cette notion.

A la suite de cet arrêt, la droite a réclamé une loi étendant la laïcité aux entreprises et dans son allocution télévisée de jeudi dernier François Hollande a évoqué la « nécessité » d’une loi interdisant les signes religieux dans le secteur de la petite enfance. La laïcité est-elle en train de glisser de la sphère publique à la sphère privée ?  

Une laïcité qui s’appliquerait au privé, ça ne veut tout simplement rien dire. C’est antinomique. La laïcité définit, au contraire, l’organisation des différents modes de vie dans l’espace public.

De plus, il faut arrêter l’opportunisme. On ne fait pas une loi dès lors qu’on apperçoit un voile. Depuis des années, dans le secteur privé ou publique, des personnes portent des tee-shirts affublés d’un dessin du yin et du yang sans qu’aucune loi ne soit proposée. Pourtant c’est un signe religieux au même titre qu’un foulard. Je suis contre le deux poids deux mesures. Ce que l’on interdit pour une religion doit l’être pour toutes.

Si la laïcité est aujourd’hui dévoyée par son utilisation politicienne, pensez-vous qu’il faudrait légiférer en vue de restaurer l’esprit initial de la laïcité française ?

Il n’y a pas besoin de légiférer, on devrait simplement appliquer la laïcité telle qu’elle est prévue dans la loi de 1905.

 

Propos recueillis par Maïna Fauliot